Plusieurs amis nous ont demandé de parler aux lecteurs de La Gnose de la Crosse épiscopale. Nous ne demandons pas mieux, mais, avant d’aborder ce sujet si peu connu, il nous semble indispensable d’indiquer tout d’abord ce qu’étaient les fonctions primitives des évêques, bien différents des prélats catholiques d’aujourd’hui.
À l’origine de l’Église, les évêques furent simplement des pasteurs établis en divers lieux par les Apôtres pour les assister dans leurs fonctions, qui consistaient, comme chacun sait, à instruire les fidèles et à administrer les sacrements. Jusqu’au 2e siècle, le titre d’évêque fut simplement honorifique, et rien ne distinguait ceux qui le portaient des autres conducteurs spirituels du troupeau. La supériorité réelle des évêques ne s’introduisit que plus tard et par degrés, lorsque, la religion chrétienne ayant fait de grands progrès, on jugea utile et prudent de soumettre plusieurs pasteurs à la juridiction de l’un d’entre eux, et tous les évêques à la juridiction d’un métropolitain.
Primitivement, la juridiction des évêques n’était point contentieuse ; ils ne pensaient point à faire usage du glaive ; absolument soumis aux lois des empereurs, ils n’infligeaient jamais de peine afflictive, aux particuliers sans le concours des souverains dont ils réclamaient la protection. D’après les lois romaines, ils n’avaient pas même ce droit sur les clercs. Mais tel était le respect du peuple pour eux, qu’on les choisissait ordinairement pour arbitres et pour juges dans les affaires litigieuses ; et ce simple arbitrage se convertit peu à peu et insensiblement en juridiction. Nous savons, par l’histoire, en qui est sorti de cette juridiction.
Au lieu de protéger les pasteurs ordinaires qui sont les véritables conducteurs de l’Église, les évêques papistes s’empresseront d’opprimer conducteurs et troupeaux, favorisant la création d’ordres religieux qu’ils comblèrent de biens, de faveurs, de privilèges.
Quelle différence entre la conduite des évêques romanistes, devenus de véritables princes, et celle des successeurs des Apôtres de Jésus-Christ ! Tandis que ceux-ci prêchaient le renoncement de soi-même, l’abnégation, le sacrifice, la mortification, les sacerdotes romains, imitant les prêtres du paganisme, procédèrent à la déification de toutes les passions humaines, de tous les défauts de l’humanité.
En s’éloignant des temps apostoliques, l’épiscopat cessa de plus en plus d’être une charge pour devenir une dignité recherchée par la noblesse dont elle devint l’apanage ordinaire. En dépit des conciles et des anciennes traditions du Christianisme, les bénéfices de l’épiscopat se donnèrent à des hommes qui n’avaient pas l’âge, à des enfants même, qui, la plupart du temps, n’avaient de religieux que l’habit.
Une fois l’existence de la féodalité éteinte, les évêques imitèrent les seigneurs : ils devinrent prélats de cour, d’abord ; ils s’organisèrent ensuite une cour personnelle, et prirent, à l’instar des nobles qu’ils avaient servis, le titre de Monseigneur.
Encore une fois, quelle différence entre les premiers pasteurs, témoins et défenseurs de la doctrine du Christ, et ces évêques crossés et mitrés, qui veulent dominer les consciences et en imposer au monde entier ! Autre temps, autres mœurs !
Élus directement par le peuple, les conducteurs de la primitive Église ne se distinguaient des membres du troupeau par aucun costume spécial : sur leur robe, nul vestige d’or, d’argent ou de broderies ; sur leur tête, aucune autre coiffure que celle du peuple. Mais, à la main, par obligation, plutôt que par parade, le bâton du pèlerin, une canne, terminée par une tête de béquille qui lui donnait la forme du tau (T) ou de la croix, d’où est venu le mot italien croce dont on a fait crosse. Cette simplicité dura plusieurs siècles, mais, à l’époque de saint Bernard, déjà, l’ornementation de la crosse varia suivant la richesse de l’abbé ou de l’évêque. Dans les caveaux des monastères et des églises, on en a retrouvé dont le bâton était de cuivre doré et émaillé, ou de bois travaillé, enrichi d’ornements. Ce fut vers le 12e siècle que les crosses s’allongèrent ; de fines sculptures, de riches métaux, des pierres précieuses se montrèrent aux volutes et aux nœuds qui les reliaient à la tige. On y représentait des scènes empruntées à la Sainte Écriture. Au 15e et au 16e siècle, les crosses avaient pris leur entier développement, tant au point de vue du luxe d’ornementation que de la richesse de la matière.
Nous ne pouvons vraiment, en présence de ces diverses variations, nous empêcher de songer aux Apôtres, aux missionnaires, aux pasteurs de la primitive Église, et nous ne nous représentons pas bien Jésus-Christ lui-même annonçant l’Évangile, entouré de prélats crossés et mitrés. Celui qui était doux et humble de cœur, qui regardait tous les hommes avec amour et les invitait doucement à le suivre, ne peut avoir eu — ne fût-ce qu’un instant — l’idée de cette pompe grandiose, de cette juridiction sacerdotale. Que dirait-il donc, que diraient ses disciples, s’ils revenaient sur la terre et pouvaient contempler la magnificence, la splendeur des palais et des ornements épiscopaux ?
Chers amis, répondez vous-mêmes, après avoir visité en esprit la petite demeure de Nazareth, jadis séjour du Maître le plus auguste qu’ait connu l’Univers !… En terminant, nous sentons, nous, le besoin de nous humilier devant lui, et, lorsque le temps vient d’accomplir pour son œuvre un voyage, de prendre en main, non la crosse enrichie de pierreries, mais le Tau sacré, le Tau de bois, emprunté simplement aux arbres du chemin.
La Crosse et son origine, Tau HENRY, Évêque de Belgique.
La Gnose volume 1, n° 10, 1910.
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