La Petite Eglise par Joanny Bricaud.
Un petit groupe d’hommes garde héréditairement, en France, depuis plus d’un siècle, une attitude religieuse transmise des pères aux enfants, entretenue par des habitudes de vie et d’éducation et dont l’originalité procède surtout de scrupules de conscience et de règles de conduite.
Ils forment ce qu’on appelle la Petite Église.
L’origine de la Petite Église remonte à 1801, époque à laquelle fut conclu le Concordat entre le Pape Pie VII et le Premier Consul Bonaparte. Elle constitue, à proprement parler, le schisme des anticoncordataires.
Pour bien comprendre ce mouvement, il n’est pas inutile de rappeler quelle était autrefois la constitution de l’Église de France.
Depuis le Concordat de François Ier, l’ancien épiscopat était à la nomination du roi. De plus, l’évêque, une fois investi, trouvait son siège doté de ressources dont il avait la pleine disposition et qui suffisaient amplement aux besoins de sa charge. Si, de l’épiscopat, nous passons au clergé, nous constatons que les postes à la collation de l’évêque étaient en petit nombre ; la nomination de la plupart des prêtres appartenait à des collégiales, des abbés ou prieurs, et même à des laïques, sous réserve toutefois de l’institution canonique des évêques. Mais tous étaient inamovibles et ne pouvaient être déchus que pour indignité, après un jugement en forme rendu par les tribunaux ecclésiastiques et avec droit d’appel aux tribunaux civils.
Avec le Concordat conclu par Bonaparte surgissait une nouvelle organisation, fort différente de l’ancienne.
Aussi, l’esprit public ne s’y trompa point. Pour les masses, les évêques n’étaient plus désormais que des fonctionnaires chargés par le gouvernement de l’administration spirituelle d’une circonscription territoriale, recevant un traitement du trésor, soumis aux lois de l’avancement et n’ayant à espérer cet avancement que du pouvoir politique.
Les chanoines, prêtres et desservants n’apparaissaient plus comme les coopérateurs des évêques, mais plutôt comme leurs agents, nommés par eux seuls, pouvant être déplacés et révoqués à leur gré.
Tandis que le plus grand nombre, exclusivement épris des formes extérieures, saluait, dans le Concordat de 1801, le rétablissement du culte catholique, d’autres, plus réfléchis, impressionnés par les termes du traité que Bonaparte avait arraché au Pape, ne se firent pas d’illusions. C’était la liberté de conscience qui se trouvait confisquée, du même coup qui supprimait l’inamovibilité du clergé.
Ce mouvement de défiance se produisit dans beaucoup de consciences, mais il n’aurait peut-être pas franchi les limites du for intérieur, s’il n’avait rencontré dans certains milieux des conditions favorables à son expansion.
On sait que le gouvernement avait fait table rase de l’ancienne organisation ecclésiastique. Une nouvelle délimitation des diocèses, réduits de 156 à 60, fut arrêtée par le pouvoir civil. Le Saint-Siège s’engagea à ne reconnaître pour titulaires des nouveaux diocèses que les ecclésiastiques qui lui seraient désignés par le Premier Consul. Les autres étaient considérés comme démissionnaires.
Des 96 évêques dépossédés, 36 refusèrent de donner la démission qui leur était imposée, invoquant l’autorité du concile de Trente et la tradition constante de l’église catholique où le principe de l’inamovibilité de l’épiscopat a toujours été professé.
Ils protestèrent auprès du Pape Pie VII, par la publication, d’abord, en mai 1802, du Mémoire des Évêques Français (Mémoire des Évêques Français résidant à Londres qui n’ont pas donné leur démission, Londres, 1802) ; puis, en avril 1803, des Réclamations canoniques (Réclamations canoniques et très respectueuses adressées par les évêques à notre Très Saint-Père Pie Vll, par la Providence Divine, Souverain Pontife, contre différents actes relatifs a l’Église Gallicane, Londres, 1803).
Les signataires y disaient : « Un évêque, canoniquement institué, ne peut être destitué qu’en vertu d’une sentence juridiquement rendue, à la suite d’un procès dûment instruit. »
Nombre de prêtres et de fidèles se rallièrent aux Réclamations ; il se créa ainsi dans la France, et notamment en Bretagne, en Vendée, dans les Deux-Sèvres, le Mâconnais, le Dauphiné, le Lyonnais, le Forez et jusqu’au fond des Hautes-Alpes, un courant de résistance, entretenu par les évêques dépossédés, qui, quoiqu’en exil, étaient restés en rapport avec les fidèles de leurs diocèses.
Parmi ces évêques, les plus ardents à entretenir la résistance dans leur ancien clergé, furent Monseigneur de Coucy, ancien évêque de La Rochelle et de Poitiers, et Monseigneur de Thémines, ancien évêque de Blois, tous deux réfugiés en Espagne. Le premier écrivait à ses fidèles de Vendée : « Vous ne devez reconnaître d’autre autorité que la nôtre et celle des prêtres que nous avons revêtus de nos pouvoirs. »
Renseigné par les rapports du baron Dupin, préfet des Deux-Sèvres, Bonaparte ne tarda pas à se préoccuper de ces mouvements de résistance. Dès le mois de juin 1803, il écrit de Saint-Cloud, 18 prairial an XI, au citoyen Talleyrand :
« Je vous prie, citoyen ministre, de faire les démarches nécessaires pour que MM. de Coucy, ancien évêque de La Rochelle, de Thémines, ancien évêque de Blois, et Gain de Montagnac, ancien évêque de Tarbes, qui se trouvent en Espagne, et viennent, par des mandements séditieux, de chercher à troubler l’État, soient arrêtés et tenus au secret dans des couvents et dans les lieux de l’Espagne les plus éloignés de la France. Bonaparte (Correspondance de Napoléon n° 6796). »
Ces projets d’incarcération n’ayant pas en de suite, sans doute parce qu’il répugnait au roi d’Espagne de faire arrêter des évêques français, Bonaparte entra dans une violente colère. Il écrivit de nouveau au citoyen Talleyrand, lui ordonnant d’arrêter immédiatement M. de Coucy et de le remettre entre les mains de la gendarmerie.
À l’arrivée du courrier extraordinaire, envoyé de Paris à Madrid, le roi d’Espagne, cette fois, se décida à l’action. Il dépêcha près de MM. de Coucy et de Thémines, en résidence chez les dominicains de Guadalajara, près de Tolède, un émissaire secret, avertissant les exilés des intentions de Bonaparte, et des dangers que pouvait amener pour son royaume leur résistance prolongée. Mais les prélats continuèrent, malgré ces avertissements, à inonder leurs anciens diocèses d’écrits attaquant l’ordre nouveau établi en France.
À cette nouvelle, le Premier Consul saisit cette plume, qui, entre ses mains, ressemblait assez à une épée et lança une troisième lettre priant le ministre de demander au gouvernement espagnol s’il voulait ou non vivre en bonne intelligence avec lui : « Vous lui direz, que, s’il veut fomenter des troubles en France, il a affaire à un homme qui saura bien en porter en Espagne ; que j’attends que ces deux hommes soient arrêtés, que leurs papiers soient saisis et qu’ils me soient livrés… »
À cette troisième sommation, Charles IV et ses ministres prirent peur ; ils firent emprisonner les deux prélats ; Bonaparte parut se contenter de cette demi-satisfaction.
En 1807, sur les instances de M. Émery et du cardinal Fesch, ils furent remis en liberté. M. de Coucy resta en Espagne, alors que M. de Thémines gagnait l’Angleterre en 1810.
C’est à Londres qu’il publia, l’année suivante, sa brochure intitulée : Projet de lettre commune aux fidèles dispersés de l’Église gallicane.
Si Bonaparte poursuivit les évêques exilés, la police du Premier Empire n’inquiéta pas les anticoncordataires de France.
Mais, aux Cent-Jours, Miot de Mélito, nommé commissaire extraordinaire dans la 12e division militaire (La Rochelle) crut devoir les signaler en haut lieu. Le 6 mai 1815, il informait le directeur général des cultes, Bigot de Préameneu, « qu’un grand nombre de prêtres, dans la Vendée, forme une espèce de schisme religieux, sous le nom de Petite Église, qui ne reconnaît ni le concordat ni les évêques nommés par l’empereur et institués par le pape. Ces dissidents ont des partisans qu’il ne serait pas difficile d’arrêter, mais ce serait leur ménager le mérite de la persécution, qu’il faut éviter de leur donner. J’ai cru devoir vous communiquer ces détails afin que vous puissiez prendre à l’égard de ces prêtres les mesures que vous jugerez convenables dans les circonstances actuelles. » On eut sans doute, en haut lieu, des soucis plus pressants, car aucune suite ne fut donnée à l’affaire.
À la rentrée des Bourbons, la Petite Église éprouva une défection de cinq prélats, et, en 1811, des trente-six évêques protestataires, la mort n’avait laissé debout que MM. Vintimille, évêque de Carcassonne ; Amelot, évêque de Vannes ; Villedieu, évêque de Dijon, et de Thémines, évêque de Blois.
Le gouvernement de la Restauration ferma également les yeux sur une scission qui, au rond, n’était peut-être pas pour lui déplaire. Il se fit seulement tenir au courant de la situation par ses préfets : une lettre de la préfecture des Deux-Sèvres, datée du 19 avril 1826, annonça tout spécialement au ministre des Affaires ecclésiastiques « la mort d’un prêtre dissident qui exerçait à Courlay ». Ce prêtre n’était autre que le curé en titre de Courlay, l’abbé Texier, qui, bien que réfractaire et dissident avait été laissé à la tête de sa paroisse, faute de prêtres en nombre suffisant pour pourvoir toutes les cures du diocèse.
La difficulté où l’on se trouva bientôt de recruter un clergé spécial mit rapidement obstacle au développement de la Petite Église. La situation du prêtre anticoncordataire, non rétribué, n’avait rien, indépendamment de la question de conscience, pour attirer les jeunes prêtres sortant des séminaires concordataires. Aussi, quand la mort vint enlever, les uns après les autres, les prêtres anticoncordataires et que le dernier survivant des membres de l’épiscopat, M. de Thémines, fut mort en 1829, les dissidents entourèrent leur mémoire d’un culte filial et ne cessèrent de poursuivre pour les défunts leur réhabilitation devant Rome.
Privé de prêtres, le culte dégénéra fatalement en cérémonies laïques, célébrées au gré de tel ou tel dissident ; le lien d’origine entre les différents groupes se relâcha peu à peu, et bon nombre de fidèles, incapables de se priver des secours et des consolations des sacrements, rentrèrent insensiblement dans le giron de la Grande Église, ne conservant de l’ancien état que le rigorisme d’attitude et de pratiques compatible avec leur retour.
D’autres, le petit nombre, dans la Vendée, le Mâconnais, le Dauphiné, à Lyon, persévérèrent dans leur intransigeance. Ils continuèrent à communier avec le clergé voisin, non soumis au Concordat français. C’est ainsi que, vers 1852, ils remirent un dossier complet de leurs Réclamations à l’archevêque de Florence qui en avait fait la demande. Une dizaine d’années après, ils entrèrent en pourparlers avec Monseigneur Franzoni, archevêque de Turin, que le gouvernement Sarde avait banni de son diocèse et qui avait élu résidence à Lyon. Mais il ne paraît pas que ni l’un ni l’autre de ces deux prélats ait prêté un concours actif aux réclamants.
Lorsqu’en 1868 parut la bulle Aeterni Patries Unigenitus, publiée par Pie IX, une sincère émotion fut ressentie dans les rangs des membres de la Petite Église et l’obstination de leurs espérances allait encore s’affirmer d’une façon formelle au Concile œcuménique du Vatican.
Le successeur de Saint-Pierre convoquait tous les évêques du monde catholique à un Concile général, afin d’examiner d’un commun accord les diverses questions qui se rapportaient, disait la Bulle « à la plus grande gloire de Dieu, à l’intégrité de la foi, au salut éternel des hommes, au maintien de la discipline, à l’observation des lois ecclésiastiques et en vue d’adopter ensemble les remèdes les plus salutaires pour guérir les maux de l’Église ».
L’heure n’était-elle pas venue de déférer l’affaire de l’Église de France, suivant le mot de Monseigneur de Thémines, à tous les évêques assemblés ?
En Vendée comme à Lyon, cette question fut immédiatement soulevée.
À la suite d’un échange de vues entre les divers groupes, les anticoncordataires décidèrent de présenter à la haute assemblée leurs communes doléances et leurs scrupules de conscience. Il fut entendu que deux délégués porteraient à Rome les Réclamations canoniques de 1803, avec un Mémoire explicatif de la conduite des catholiques demeurés fidèles à la cause des anciens évêques, adressé à chacun des membres du Concile œcuménique.
Le Mémoire explicatif devait renfermer une déclaration très explicite d’attachement à l’Église catholique, apostolique et romaine. Il devait, en outre, rappeler successivement les événements qui touchent au Concordat de 1801 et exposer avec fidélité les considérations d’ordre supérieur qui avaient déterminé les évêques réclamants à refuser leur démission et à prescrire à leurs adhérents de rendre eux-mêmes témoignage aux principes développés dans les Réclamations canoniques, en s’abstenant de communiquer avec le nouveau clergé.
Un projet, écrit en langue française, fut rédigé avec l’assistance des anciens qui avaient été les témoins des événements on qui en tenaient directement le récit des contemporains ; puis, afin d’être certain que ce mémoire exprimait avec certitude les sentiments de tous, lecture en fut donnée, soit à Lyon, soit en Vendée, dans des réunions spécialement convoquées et sa rédaction ne devint définitive que d’un consentement unanime.
Une traduction très exacte du mémoire fut faite en langue latine, le texte devant être imprimé en français et en latin. Deux éditions furent faites, l’une, format in-folio, à quelques exemplaires seulement, destinée à recevoir les signatures des principaux membres de la Petite Église et à être présentée au Pape et au Secrétaire général du Concile ; l’autre, format in-8, pour être distribuée aux membres du Concile.
Les deux délégués, chargés de porter les Réclamations canoniques à Rome, les Lyonnais Jacques Berliet et Marius Duc, en conférèrent préalablement avec Monseigneur Callot, évêque d’Oran, ancien curé de la paroisse du Bon Pasteur, de Lyon, de passage dans cette ville, et lui communiquèrent le Mémoire qu’ils avaient mission de porter aux évêques assemblés.
Ce prélat, après avoir pris connaissance du Mémoire, approuva leur projet et leur promit son appui.
Arrivés à Rome dans les premiers jours de décembre 1869, les deux délégués se rendirent au Vatican afin de solliciter une audience particulière du Saint-Père. Ils furent reçus par un des secrétaires de Mgr Ricci, maître des chambres, qui leur annonça que les audiences étaient momentanément suspendues à cause des travaux préparatoires du Concile. Les deux délégués multiplièrent leurs démarches sans réussir à obtenir une audience du Pape.
Les délégués français gardèrent sur leur mission une prudente réserve, mais ils eurent la satisfaction d’intéresser à leur cause Mgr Alexandre Bonnaz, évêque hongrois, qui les accueillit avec beaucoup de bonté et leur accorda une longue audience. Il s’enquit avec soin de la situation des adhérents au Mémoire, des motifs de leur persévérance, des espérances qu’ils fondaient sur la réunion du Concile œcuménique. Il promit aux Lyonnais d’étudier très attentivement leur cause et d’en conférer avec plusieurs de ses collègues ; enfin, il les recommanda d’une façon spéciale à Son Éminence le Cardinal de Rauscher, archevêque de Vienne. Entre temps, ils furent autorisés à déposer entre les mains de Mgr Fessler, évêque de Saint-Hippolyte (Autriche) et secrétaire général du Concile, deux exemplaires des Réclamations canoniques et du Mémoire explicatif ; ils distribuèrent, en outre, aux membres du Concile, malgré les difficultés qu’ils éprouvèrent à se procurer leurs adresses, un millier d’exemplaires qu’ils avaient apportés dans ce but. MM. Berliet et Duc tenaient au courant de leurs démarches M. Paul Mainguet, de Mortagne (Vendée), le membre le plus influent du parti anticoncordataire dans sa région.
L’échec de la demande d’audience pontificale, la froideur de l’épiscopat français, les lenteurs du Concile à aborder la question engagèrent les délégués à ne pas prolonger leur séjour à Rome. Après avoir consulté Mgr Callot, évêque d’Oran, ils résolurent de rentrer en France, aussitôt qu’ils auraient achevé la distribution des Réclamations et du Mémoire et terminé la série des visites qui leur étaient dictées par les convenances. Il fut convenu que Mgr Callot continuerait de s’occuper de leur cause auprès du Concile et les informerait en temps opportun des résultats obtenus ; enfin : que, dans le cas où des circonstances imprévues nécessiteraient des explications écrites ou même la présence à Rome des délégués, il se chargeait de les prévenir.
De retour à Lyon, les délégués attendirent le résultat de leurs démarches. Mais les semaines et les mois se succédèrent sans qu’aucun avis direct venu de Rome apprît aux fidèles de Lyon et de la Vendée que le Concile se fût occupé de leurs Réclamations.
Cependant, divers journaux de France faisaient allusion, de temps à autre, au Mémoire que la Petite Église avait envoyé à Rome en publiaient des extraits, y ajoutaient des commentaires plus ou moins favorables, mais, pas un mot des évêques qui avaient pro mis leurs bons offices.
Ils résolurent donc d’écrire à l’évêque d’Oran pour lui rappeler cette affaire. Enfin, ils reçurent de ce prélat, quelques semaines après, une réponse qui leur apprit ce qui avait été fait.
« Le Concile, écrivait Mgr Callot, s’est occupé pendant plusieurs séances des Réclamations des évêques du 6 avril 1803, et de votre position. Huit ou dix évêques ont prononcé des discours favorables à votre cause ; celui de l’évêque de Luçon (Mgr Collet) a été une apologie chaleureuse… Votre conduite, non seulement n’a pas encouru le blâme, mais a reçu l’approbation générale de tous les Pères du Concile.
Deux seulement ont dit des choses pénibles contre vous ; l’un, Mgr Deschamps, évêque de Malines, a demandé l’excommunication des pétitionnaires, mais son discours a soulevé les murmures et la désapprobation de l’Assemblée. Bref, le Concile a décidé qu’une lettre vous serait adressée en son nom pour rendre hommage aux anciens évêques regardés comme les défenseurs de l’église, et, puisque tous étaient morts, engager les réclamants à reconnaître, avec l’église, le clergé concordataire, et à se réunir à lui. »
Mgr Callot avait ajouté : « Je ne sais quand et comment vous parviendra cette lettre, mais elle est décidée et devra vous être envoyée ».
La lettre formellement annoncée par l’évêque d’Oran ne fut jamais écrite ; le Concile ajourné au 11 novembre 1870, ne se réunit plus, en raison des graves événements politiques survenus dans l’intervalle.
Depuis ce temps, la Petite Église a vécu, et les Vendéens et les Lyonnais qui signèrent le Mémoire présenté au Concile, persévèrent avec fermeté dans leur attachement aux principes défendus dans les Réclamations canoniques du 6 avril 1803.
Sans pasteurs, sans rien qui la rattache à un ministère constitué, ni qui relie au moins entre eux les divers groupes anticoncordataires, la Petite Église vit sur les traditions que lui ont léguées ses anciens. Elle compte entre trois à quatre mille membres. On en trouve dans les environs de Grenoble, dans l’Allier, le Mâconnais, la Nièvre ; ils se baptisent et se marient entre eux sans le secours d’aucun prêtre.
À Argenteuil, près Paris, la résistance anticoncordataire se concentre dans un petit groupe de vignerons qui se réunissent régulièrement pour des cérémonies en commun.
Dans la Vendée et les Deux-Sèvres, ils sont environ 2 500. La Petite Église réunit encore aujourd’hui à Courlay (Vendée), un millier de fidèles dans une petite chapelle rebâtie à leurs frais en 1872. Ils ont, en outre, une grande chapelle à Cidères ; une autre presque neuve au Puytareau, paroisse de Saint-André, enfin une autre à Saint-Martin-l’Ars, dans le diocèse de Luçon.
Les offices du dimanche matin débutent par le chant du Miserere et du de Profondis. Puis, on commence l’office qui remplace la messe. Les chantres entonnent l’Introït, le Kyrie, le Gloria, le Credo, le Sanctus, l’Agnus Dei et la Communion. Les chants terminés, l’un des chantres donne lecture en français de l’Épître et de l’Évangile, cette lecture est accompagnée de réflexions. On récite ensuite un chapelet, puis on termine par l’Angelus.
À Lyon, il y a environ une centaine de familles, soit quatre à cinq cents personnes fidèles à la Petite Église. Vers la fin de l’année 1893, une crise intérieure traversa l’existence de la Petite Église lyonnaise. Le pape Léon XIII avait adressé une lettre aux anticoncordataires et M. Marius Duc, l’un des délégués au Concile de Rome, se rapprocha du catholicisme papal, tout en persévérant dans son assistance morale et effective à l’égard de ses anciens frères : « Il accomplit cet acte, dit M. Prost (Claudius Prost était l’un des principaux membres de la Petite Église de Lyon. Il est mort en janvier 1903), simplement, sans qu’on ait exigé de sa part rien qui ressemblât à une rétractation de sa conduite passée ».
Les pratiques religieuses des membres de la Petite Église sont familiales, privées, fermées à toutes les curiosités. Les dimanches, ils disent les prières de la messe en famille, toujours en français et suivant l’ancien rite lyonnais. Ils récitent ensuite, dans le cours de la journée, les divers offices de l’Église. Comme ils s’interdisent d’assister aux offices du clergé concordataire, ils ne peuvent de tous les sacrements, en administrer qu’un seul, le baptême, que les laïques ont le droit de conférer. La cérémonie civile du mariage est précédée de la récitation des prières d’usage dans la famille réunie.
Les malades et les mourants sont visités par les chefs de la dissidence. Aux enterrements, tous les assistants disent, à la maison du défunt, l’office des morts, et, au cimetière, les anciens disent les prières de la sépulture.
Ne recrutant pas d’adhérents, les membres de la Petite Église ne sont pas destinés à s’accroître en nombre. Sans la rupture du Concordat, qui permettra sans doute à la plupart de rentrer dans la Grande Église, ils s’éteindraient à échéance plus ou moins longue.
Ils n’en auront pas moins donné un grand exemple de vitalité, d’attachement à la discipline et de fidélité à la cause de leurs anciens pasteurs et de l’Église Gallicane.
Joanny BRICAUD.
La Petite Eglise, La Nouvelle Revue, tome XXXVII.