Une Technique Soufie de la Prière du Cœur par Tau Heliogabale
« Dis Allâh et laisse-les à leurs vains discours » (Cor. 6, 91)
Introduction
Le texte qui suit est emprunté au « Tanwîr alqulûb » (3e édition, Le Caire, p. 548-558) du Sheikh Muhammad Amîn al-Kurdî al-Shâfi’i al-Naqshabandî, mort en 1332 de l’hégire (1914). Nous recopions avec humilité et amour ce texte qui fut publié dans l’ouvrage « Petite Philocalie de la prière du cœur », éd. du Seuil, pp234-248. Nous avons cherché à enrichir ce texte, tant que faire se peut, par des notes explicatives et une courte introduction sur le dhikr pratique de la Voie Soufie [1].
Le dhikr, selon Ansârî, c’est « quand tu oublies tout ce qui n’est pas Lui et quand tu t’oublies toi-même dans l’acte de te rappeler, puis lorsque tu oublies l’acte de te rappeler dans l’acte de te rappeler, puis lorsque tu oublies tout rappel dans le souvenir actuel que Dieu a de toi. »
En arabe, le mot dhikr signifie « rappel, souvenir ». Le dhikr est une pratique et une méthode spirituelle basée sur l’invocation et la répétition de formules sacrées, de phrase tirées du Coran. Comme nous allons le lire plus loin, il peut être un dhikr « du cœur » ou un dhikr « de la langue », il se pratique soit individuellement soit collectivement dans des assemblées dédiées à cette pratique particulière. Le dhikr de la langue trouve sa source dans le Coran : « Ô vous qui croyez ! Invoquez Allâh d’une façon abondante et glorifiez-le à la pointe et au déclin du jour » (Coran XXXIII, 41-42). La pratique du dhikr du coeur se transmet par une initiation qui implique la transmission du sir (ou secret spirituel du maître). Par le dhikr du cœur, l’invocation des Noms de Dieu fait agir le sir dans le coeur du disciple. Arrivé à une certaine élévation spirituelle, ce dhikr du coeur se révèle permanent dans le pratiquant, l’utilisation du verbe devient inutile, et la Présence divine est manifestée en permanence au sein du pratiquant qui est alors « en Allâh, pour Allâh, par Allâh et avec Allâh ».
Pour conclure citons ce passage tiré du site « Soufisme [2] » : « Mentionner le Nom d’Allâh polit le coeur et annihile toute manifestation de l’ego, instigateur du mal. L’invocation vide le coeur de tout ce qui n’est pas elle « le polit jusqu’à le transformer en un miroir immaculé ». Le disciple s’élève alors vers la Présence divine, réalisant ainsi le but essentiel de la Voie, qui est de dépasser son individualité en vue de l’accession à l’état d’Homme Universel. Il peut alors discerner l’unité dans la multiplicité et la multiplicité dans l’unité ».
Nous espérons donner ici une ouverture vers ce voyage qui emmène le pratiquant vers le chemin aboutissant à la maîtrise spirituelle qui éveille le cœur jusqu’alors endormi, et à ce moment « dans le cœur passe une image : « Retourne vers ta source » et alors « Le cœur s’enfuit de tous côtés, loin du monde des couleurs et des parfums, en criant : « Où donc est la Source ? et en déchirant ses vêtements par Amour. »[3]
Bonne route…
Spartakus FreeMann, Nadir de Libertalia, Jour de la Noël 2004 AVL.
Section sur le dhikr intérieur ou pratiqué dans le cœur (adh-dhikru-l-qalbî), qui est supérieur au dhikr vocal (adh-dhikru-l-jahrî).
Sache que le dhikr est pratiqué de deux manière : avec le cœur et avec la langue. Chacune de ces formes a ses bases légales dans le Coran et dans la Sunnah.
Le dhikr avec la langue, comportant une parole composée de sons et de lettres, ne peut être pratiqué à tout moment. L’activité commerciale et les activités similaires le contrarient nécessairement, à la différence du dhikr du cœur, car ce dhikr considère la signification de la parole en dehors de toute prononciation de lettres et de sons et, de ce fait, aucun obstacle n’arrête celui qui invoque intérieurement.
Vers :
Invoque Allâh dans le cœur, en un secret
Que ne saisissent pas les créatures, sans lettres et sans voix !
Ce dhikr est la meilleure de toutes les incantations.
C’est de là que vient la gloire des hommes spirituels.
C’est pour cela que nos maîtres naqchabendites[4] ont préféré le dhikr pratiqué avec le cœur, car le cœur est « le lieu où regarde Allâh », le Maître du pardon ; il est le « siège de la Foi » ainsi que la « mine des secrets » et la « source des lumières » ; quand il est sain, tout le corps est sain et quand il est corrompu il corrompt tout le corps, ainsi que nous l’a expliqué le Prophète choisi. Le serviteur n’est croyant que par l’engagement du cœur à ce qu’exige la foi et aucun acte d’adoration n’est qualifié comme tel que par l’intention adéquate. Les chefs religieux sont d’accord que les actes des membres ne sont acceptés que par l’acte du cœur mais que, par contre, l’acte du cœur peut être accepté sans les actes des membres ; aussi enseignent-ils que si les actes du cœur ne sont pas acceptés, la foi ne sera pas acceptée.
La Foi (al-Imân) est l’adhésion sincère du cœur, Allâh a dit : « Il a inscrit dans leurs cœurs la Foi » (Cor. 58, 22). Il a dit : « Ceux-là sont ceux dont Il a soumis à l’épreuve les cœurs par la crainte » (Cor. 49, 3) et aussi : « Invoque ton Seigneur dans ton âme » (Cor. 7, 205) c’est-à-dire « dans ton cœur », interprétation qui est appuyée par un autre verset : « Ils disent en leurs âmes : Si Allâh ne nous punissait pas pour ce que nous disons » (Cor. 58, 9).
Le poète Akhtal[5] a dit :
« En vérité la parole est dans le cœur
Et la langue n’a été mise que comme preuve contre le cœur ».
Allâh a dit : « Invoquez votre Seigneur humblement et secrètement » (Cor. 7, 55). Aïcha[6] – qu’Allâh soit satisfait d’elle ! – rapporte que le Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! – a dit : « Le dhikr est 70 fois supérieur au dhikr (c’est-à-dire le dhikr secret est supérieur au dhikr oral). Le jour de la Résurrection, Allâh ramènera les créatures à la reddition des comptes et les anges surveillants viendront avec ce qu’ils ont observés et inscrit. Allâh dira : « Regardez, reste-t-il encore quelque chose en faveur de mon serviteur ? » Les anges répondront : « Nous n’avons rien oublié de ce que nous avons appris et retenu, car nous avons tout compté et inscrit. » Allâh dira au serviteur « Il te reste encore une chose chez Moi, et Je t’en récompenserai : c’est le dhikr secret (adh-dhikru-l-khafî) ». De même, il est rapporté dans les hadith[7] sûrs qu’Allâh – qu’Il soit exalté ! – a dit : « Je suis auprès de la pensée que se fait de Moi Mon serviteur et Je suis avec lui quand Il Me mentionne (dhakaranî) ; s’il Me mentionne en son âme, Je le mentionne en Mon âme, s’il Me mentionne dans une assemblée, Je le mentionne dans une Assemblée meilleure que la sienne ». Un autre hadith du Petit Recueil (al-Jâmi’u-ç-caghîr) de as-Soyûtî[8] dit : « Le meilleur dhikr est le dhikr secret, et la meilleure richesse est celle qui suffit ». Un autre hadith dit : « Le dhikr que n’entendent pas les anges surveillants est supérieur 70 fois à celui qu’ils entendent ». Ce hadith qui remonte à Aïcha est rapporté par al-Baîhaqî[9] qui a dit : « ce hadith est considéré comme bon » (sous le rapport de l’authenticité). Enfin les hadiths relatifs aux mérites du dhikr caché sont nombreux.
L’un des commentateurs a dit à propos du verset (Cor. 35, 29) : « Il y a des serviteurs qui sont injustes envers leurs âmes » : ce sont les invocateurs de langue seulement ! « Et il y en a de bien dirigés » : ce sont les invocateurs du cœur ! « Et il y a des serviteurs qui font à l’avance le bien » : ce sont les invocateurs qui n’oublient pas leur Seigneur (de sorte qu’ils n’ont pas à se ressouvenir de Lui par le dhikr) !
Un des Connaissants (al-Arifûn) a déclaré : « Le dhikr avec le cœur est le sabre des aspirants (saîfu al-murîdîn) : c’est par lui qu’ils combattent leurs ennemis et par lui ils repoussent les calamités qui veulent les atteindre. En vérité, quand le malheur attaque le serviteur et qu’il se réfugie avec son cœur vers Allâh, Allâh écarte aussitôt tout ce qui peine le serviteur ».
Le Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue – a dit : « Quand Allâh veut le bien à quelqu’un, Il lui ouvre la serrure du cœur et y met la certitude ».
Le Sheikh Abù Sa’îd al-Kharraz[10] a dit : « Quand Allâh veut prendre comme ami l’un de Ses serviteurs, Il lui ouvre la porte de Son dhikr, et quand celui-ci se complaît au dhikr, Il lui ouvre la porte de la Proximité, ensuite Il l’élève à la séance de l’Intimité, ensuite Il l’installe sur le trône de l’Unité, ensuite Il lui enlève le voile et le fait entrer dans la Maison de la Singularité et lui dévoile la Majesté et la Magnificence, et lorsque le regard du serviteur rencontre la Majesté et la Magnificence, il reste « sans soi » (bi-lâ huwa). Alors il devient éteint pour un temps et entre dans la protection divine, préservé de toute prétention de soi ».
Khâlid ibn Ma’dân a dit : « Chaque homme a deux yeux dans son visage, par lesquels il voit les choses de ce bas monde, et deux yeux dans son cœur par lesquels il voit l’autre monde. Si Allâh veut le bien pour un serviteur, Il lui ouvre les yeux du cœur pour que Son serviteur voie tout ce qu’Il lui a promis et qui n’est pas ici ; et si Allâh veut autrement, Il le laisse dans l’état où il se trouve ».
Ahmed ben Khidrawaïth a dit : « Les cœurs sont des vases ; s’ils sont remplis de vérité, le surplus de leurs lumières se déverse sur les membres et s’ils sont remplis d’erreur, sur les membres se déverse le surplus de leurs ténèbres ».
Dhû-n-Noun al-Miçri a dit : « La réconciliation du cœur pendant une heure est meilleure que les œuvres religieuses des deux espèces douées de pesanteur (Les Djinns et les hommes). Si l’ange n’entre pas dans une maison où se trouve une image (ainsi que le dit un hadith), comment le Témoin de Dieu entrera-t-il dans un cœur qui contient les traits d’un autre que lui ? »
L’un des hommes spirituels a dit : « Un atome des œuvres des cœurs est plus méritoire que des montagnes des œuvres des membres ».
Section sur la méthode du dhikr chez les maîtres naqchabendites.
Sache que le dhikr du cœur (adh-dhikru-l-qalbî) se pratique par deux moyens :
1- Avec le Nom de l’Essence Suprême (Ismu-dh-Dhât), ou
2- Avec la formule de négation et d’affirmation (an-naf yu wa-l-ithhât).
Le Nom de l’Essence est Allâh, (Sous ce rapport de pure désignation de Soi), Allâh a dit : « En vérité, Moi, Je suis Allâh » (Cor. 20, 14). Aussi (quant à l’emploi direct et précis de ce nom en tant que moyen de dhikr) Il a dit : « Dis : Allâh ! Et laisse-les à leurs paroles frivoles » (Cor. 6, 91).
Vers :
« Dis : Allâh et laisse l’univers et ce qu’il contient,
Si tu désires atteindre l’universalité !
Car tout ce qui est en dehors d’Allâh, si tu réalises bien la chose,
Est pur néant, que ce soit pris analytiquement, ou synthétiquement.
Sache que toi et tous les mondes,
Sans Lui, vous êtes perdus sans aucune trace !
Ce qui n’a pas d’être à soi de soi-même
Sans Lui est pure impossibilité.
Les Connaissants qui se sont éteints en Lui,
Ne connaissent rien d’autre que le Tout-Puissant,
Celui qui transcende les transcendances,
Et ce qui est « autre que lui », ils le voient évanoui
Tant dans le présent que dans le passé et l’avenir ».
Le dhikr du cœur a onze règles :
1° L’état de pureté rituelle (at-tahârah) obtenue par l’ablution, en raison de la parole du Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue – : « L’ablution (al-wud’û) efface les péchés ».
2° L’accomplissement d’une prière de deux rak’ah[11].
3° L’orientation avec la face tournée vers la qiblah (direction rituelle vers la Mecques, lieu de la Maison d’Allâh, la Ka’abah) en se tenant dans un endroit solitaire, conformément à la parole prophétique : « La meilleure position est celle où l’on se tient orienté vers la qiblah » et aussi à l’enseignement donné par le Prophète à Ali : « Il te faut pratiquer continuellement le dhikr dans la solitude (al-khalwah) ».
4° La position appuyé sur l’autre côté que celui sur lequel on s’appuie dans le rite de la prière (donc le séant appuyé sur le talon du pied droit couché vers l’intérieur pendant que le pied gauche reste en dehors appuyé sur la pointe des doigts et avec le talon redressé). Telle est la position qu’observaient les Compagnons auprès du Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! – Cette position est plus propice à l’état d’humilité et plus favorable à la concentration des sens.
5° La demande de pardon (al-istighfâr) pour tous ses péchés, en se représentant leur étendue devant soi d’une façon synthétique, avec la conscience qu’Allâh voit l’être et ne cesse de le regarder ; ainsi on se représente l’immensité et la majesté d’Allâh, ainsi que la sévérité de Sa saisie et de Son pouvoir réducteur et en même temps on se débarrasse de toutes les pensées mondaines. On sent la frayeur devant le Seigneur, et on demande le pardon, tout en sachant qu’Il est généreux et pardonnant. C’est dans cet état qu’on prononce avec la langue : Astaghfiru-llâh, « Je demande pardon à Allâh » et en même temps on considère avec le cœur le sens de ces paroles. On fait ainsi cinq fois, ou quinze fois, ou vingt-cinq fois, ce qui est plus méritoire. La pratique de l’istighfâr (la demande de pardon) est en raison du hadith suivant (entre autres) : « A celui qui s’attache à la pratique de l’istighfâr Allâh accorde une issue de toute porte et un soulagement contre toute affliction, ainsi que des biens qui lui arrivent d’une manière imprévisible ».
6° La récitation de la Fâtihah (première sourate du Coran) une fois, et de la sourate al-Ikhlâç (la 112e) trois fois, en les offrant à l’esprit de notre Seigneur Muhammad – et aux esprits de tous les maîtres de la Tarîqah[12] Naqchabandiyyah.
7° On ferme les yeux, on serre les lèvres, et on colle la langue contre le palais vers la gorge avec un calme parfait ; c’est ainsi qu’on expulse les pensées étrangères (al-khawâtir) que véhicule le regard. Cette règle est conforme à l’ordre que le Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! – donna à Ali[13] quand il enseignait comment il faut pratiquer le dhikr : « O Ali, ferme les yeux ! ».
8° L’acte spirituel appelé « l’attache au tombeau » (râbitatu-l-qabr) qui désigne la considération de la mort : tu te vois mort, lavé, enveloppé dans le linceul ; la prière funéraire faite à ton sujet ; tu te vois porté au tombeau et enseveli dedans ; ta famille et tes amis sont partis, te laissant tout seul, et tu sais ainsi que rien ne saurait te porter profit si ce n’est tes bonnes œuvres. Cette règle est conforme à la parole prophétique : « Sois dans ce bas monde comme un étranger ou un voyageur et compte-toi au nombre des habitants des tombeaux ».
9° L’acte initiatique appelé « l’attache au directeur spirituel » (râbitatu-l-murchid) ; par cet acte le disciple tient son cœur en face du cœur de son maître, et garde l’image de celui-ci dans sa conscience, même quand celui-ci est absent ; il se représente que le cœur du maître (Sheikh) est comme une gouttière et que le flux spirituel (al-faîd) vient de sa « Mer enveloppante » vers son propre cœur et qu’il reçoit ainsi la barakah[14], car le maître est le lien qui assure la jonction divine (at-Tawaççul) ainsi qu’il résulte de divers versets coraniques et hadith. Allâh – qu’Il soit exalté ! – a dit : « O ceux qui croyez, craignez Allâh et cherchez le moyen de la Proximité de Lui » (Cor. 5, 35) et encore : « O ceux qui croyez, craignez Allâh et soyez avec les Sincères » (Cor. 9, 119). D’autres part le Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! – a dit : « L’homme est avec celui qu’il aime » et aussi « Sois avec Allâh ». « Si tu n’y arrives pas, sois avec ceux qui sont avec Lui ».
On a dit : « L’extinction (al-fanâ) dans le Sheikh est la prémisse de l’extinction en Allâh ».
Avertissement. Celui qui trouve dans la représentation de la forme (de son Sheikh) une ivresse (surk) ou un évanouissement extatique (ghaîbah) doit renoncer à l’image et s’orienter vers l’état même qui en résulte pour lui.
10° La concentration de tous les sens corporels en les soustrayant à toute autre occupation et à toute suggestion venue de l’intimité même de l’être, en s’orientant avec toutes les facultés de perception vers Allâh – qu’Il soit exalté ! – Ensuite on dit : « Tu es mon but et Ta satisfaction est ce que je demande ». Après cela on récite le Nom de l’Essence (Ismu-dh-Dhât) dans le Cœur, en faisant que le mot Allâh passe sur lui, pendant qu’on considère son sens, à savoir qu’il s’agit de l’Essence sans Similitude (adh-Dhâtu-bi-lâ mithl). Cependant on est conscient qu’Allâh regarde l’être et l’enveloppe de toutes parts, conformément à la parole prophétique (dite dans la définition de l’Ihsân, la Vertu de perfection adoratrice) : « Que tu adores Allâh comme si tu le voyais, car si tu ne le vois pas, Lui te voit ».
11° L’attente de l’effet (éventuel) de l’invocation (wâridu-dh-dhikr) lors de sa cessation, en restant ainsi un peu avant de rouvrir les yeux. S’il se présente un « évanouissement extatique » (ghaîbah) ou un « rapt spirituel » (jadhbah), qu’il évite de l’interrompre.
Remarque. Si, dans le cours de l’invocation, le dhâkir[15] est importuné par quelque « resserrement » (qabd) ou par des idées qui troublent la concentration du cœur, qu’il ouvre donc les yeux, car le trouble cessera ; s’il ne cesse pas, l’invocateur prononcera avec sa langue : « Allâh me regarde, Allâh est présent auprès de moi » (Allâhu nâzhirî, Allâhu hadhirî) trois fois.
Si toutefois la dispersion persiste, l’invocateur cessera le dhikr et reprendra « l’attache au directeur » (râbitatu-l-murchid). Si cela ne suffit pas, il fera la petite ablution (wud’û), ou même la grande (ghust), et ensuite il fera une prière de deux rak’ah suivie de la « demande de pardon » et complétée par cette demande : « O Celui qui enlève toute peine, ô Celui qui répond à toute demande, ô Celui qui répare ce qui est brisé, ô Celui qui rend facile tout ce qui est difficile, ô Compagnon de tout étranger, ô Intime de tout isolé, ô Unificateur de toute division, ô Celui qui retourne tout cœur, ô Celui qui convertit tout état ! Pas de Dieu autre que Toi ! Gloire à Toi, en vérité je suis d’entre les injustes ! Je Te demande de m’accorder un soulagement et une issue, de m’infuser l’amour de Toi dans le cœur, afin que je n’aie aucun désir ni souci dans mon cœur, et que Tu me protèges et me fasses miséricorde ! Par Ta Miséricorde, ô le plus Miséricordieux des Miséricordieux ! » Par cette demande seront chassées toutes les pensées troublantes, s’il plaît à Allâh, le Sublime.
Sache que les maîtres de cette voie élevée envisagent de façon technique certains centres subtils de l’être humain (al-latâifu-l-insâniyya), dans le but de faciliter le parcours de la voie aux pratiquants.
Comme moyen de dhikr en rapport avec ces centres subtils, ils emploient le Nom Divin Allâh (désigné couramment par l’épithète de « Nom de la Majesté Divine ») afin de réaliser l’état appelé le « rapt proprement essentiel » (al-jadhbatu-l-mu’aiyanatu-dh-dhâtiyyah).
1° Le premier de ces centres subtils (latâif) est le « cœur » (qalb) qui est considéré comme se situant à deux largeurs de doigt sous le sein gauche, incliné vers le flanc et ayant la forme d’une « pomme de pin ». Le « cœur » ainsi considéré compte comme étant sous le « pied » (qadam) d’Adam – sur lui le Salut ! La Lumière qui lui correspond est « jaune ». Quand la lumière de ce centre subtil (latifâh) sort du côté de son épaule et s’élève, et qu’il s’y produit un tremblement (ikhtilâj) ou quelque agitation (harakah) puissante, l’invocateur fera un transfert dans le point qui correspond au centre subtil appelé « l’esprit » (ar-rûh).
2° L’ « esprit » (ar-rûh) est symboliquement situé à deux largeurs de doigt sous le sein droit, vers la poitrine. Ce centre subtil est sous le « pied » de Noé et d’Abraham – sur les deux le salut ! Sa « lumière » est « rouge ». Ainsi, le dhikr sera dans l’ « esprit » et l’ « arrêt » (al-wuqûf) dans le « cœur ». S’il s’y produit quelque agitation (harakah) qui trouble le dhakîr, celui-ci fera un transfert au point qui correspond au centre subtil appelé « secret » (as-sirr).
3° Le « secret » (as-sirr) est situé de la même manière à deux largeurs de doigt au-dessus du sein gauche. Ce centre subtil est considéré comme étant sous le « pied » de Moïse – sur lui le salut ! Sa « lumière est « blanche ». C’est dans ce centre que se fera le dhikr alors que l’ « arrêt » sera dans le « cœur ». S’il s’y produit quelque trouble, le dhâkir fera un transfert au point qui correspond au centre subtil appelé le « caché » (al-khafî).
4° Le « caché » (al-khafî) est situé symboliquement à deux doigts au-dessus du sein droit vers la poitrine. Ce point est sous le « pied » de Jésus – sur Lui le salut ! Sa « lumière » est « noire ». Si le dhâkir y éprouve quelque trouble, il fera un transfert au point qui correspond au centre subtil appelé « le plus caché » (al-akhfâ).
5° « Le plus caché » (al-akhfâ) est situé symboliquement au milieu de la poitrine. Ce centre est considéré comme étant sous le « pied » de notre Prophète Muhammad – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! Sa « lumière » est « verte ». Il y oeuvrera comme il a été dit précédemment (c’est-à-dire, que comme pour tous les centres subtils indiqués, le dhâkir y fera son dhikr pendant que l’ « arrêt » sera toujours dans le premier centre appelé « cœur »).
On entend par l’expression « pied » (qadam) la sunnah (le chemin) et la tariqâh (la Voie).
Celui qui obtiendra l’ascension (at-taraqqî) vers l’un de ces centres subtils (latâif) et y constatera la particularité et l’état afférent puisera son « breuvage » (machrab) auprès du Prophète sous le « pied » duquel se trouve le centre subtil en question.
Ensuite le dhâkir passe à « la négation et à l’affirmation » (annaîyu wa-l-ithbât) représentées par la formule Lâ’ilâha’illâh-Llah = « Pas de dieu si ce n’est le Dieu (Absolu et Universel) ».
La méthode d’emploi de cette formule est la suivante :
– Le dhâkir collera sa langue au palais de la gorge (safu-l-halq) et, après avoir inspiré, il retiendra son souffle. Alors, il commencera la prononciation par le vocable lâ (« pas ») en se l’imaginant (bi-t-takhaiyul) placé sous le nombril ; de là il tirera ce vocable vers le milieu des centres subtils où se trouve le centre appelé « le plus caché » (al-akhfâ) et le prolongera jusqu’à ce qu’il atteigne le point qui correspond au centre subtil de l’ « âme logique » ou « raisonnable » (an-naf su-n-nâtiqah) ; ce dernier centre est situé symboliquement dans la première enceinte (al-bâtinu-l.awalu) du cerveau (ad-dimâgh) appelée le « chef » (ar-ra’îs).
– Ensuite le dhâkir procédera à l’articulation du mot ‘ilâha (« dieu ») en commençant imaginativement avec l’élément phonétique appelé hamzah (figuré dans la transcription par l’apostrophe) depuis le cerveau en le faisant descendre jusqu’à l’épaule droite pour faire couler vers le point correspondant au centre subtil appelé l’ « esprit » (ar-rûh).
– Enfin le dhâkir procédera à la prononciation de ‘illâ-Llâh (« si ce n’est Dieu ») en faisant partir imaginativement le hamzah de ‘illa depuis l’épaule (droite) et en l’étendant vers le « cœur » (al-qalb) où le dhâkir frappera avec la parole finale Allâh (représentée dans la transcription précédente sans le A en raison de l’élision qu’amène la réunion de ces éléments de la formule) ; la force du souffle retenu frappera ainsi le « petit point noir du cœur » (suwaîdû‘u-l-qalb) pour en faire sortir l’effet (al-athar) et la chaleur (al-harârah) vers le reste du corps et pour que cette chaleur brûle toutes les parties corrompues du corps, alors que les parties pures de celui-ci seront illuminées par la lumière du Nom d’Allâh.
Le dhâkir considérera la formule Lâ ‘ilâha ‘illâ-Llah dans le sens qu’il n’y a pas d’ « adoré » (ma’bûd) ni de « visé » (maqçûd) ni d’ « existant » (mawijûd) si ce n’est Allâh. De ces trois acceptations la première (il n’y a pas d’adoré) convient au commençant (al-mubtadî), la deuxième (il n’y a pas de « visé ») à « celui qui est au milieu de la voie » (al-mutawassit) et la troisième (il n’y a pas d « existant » au « finissant » (al-muntahî).
Lorsque le dhâkir prononcera la partie négative de cette formule, il niera l’existence de toutes les choses contingentes (al-muhdathât) qui se présentent à sa vue et à sa pensée, et il considérera donc ces choses avec le regard de l’extinction (bi-nazhari-l-fanâ) ; lorsqu’il prononcera la partie affirmative, il affirmera dans son cœur et dans sa vue la réalité de l’Etre Vrai – qu’Il soit exalté ! – et il considérera donc l’Etre Vrai du « regard de la permanence » (bi-nazhari-l.baqâ).
A la fin de cette formule, il fera imaginativement un arrêt en un nombre impair (de temps) et prononcera : Muhammadun rasûlullâh (Muhammad est l’Envoyé d’Allâh), du cœur au-dessous du sein gauche en entendant par cela la conformité au Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! – et l’amour pour Lui. Ensuite, il relâchera son souffle lorsqu’il sentira la nécessité de le faire et il s’ « arrêtera » selon un nombre impair (de temps) : trois ou cinq ou sept, etc. jusqu’à vingt et un. C’est ce qu’on appelle chez nos maîtres l’ « arrêt compté » (al-muqûfu-l-‘adadî). Quand il relâchera le souffle, le dhâkir dira avec sa langue mais silencieusement : « Mon Dieu, vers Toi je me dirige et Ta satisfaction est ce que je demande » (Ilâhî Anta maqçûdî wa ridâ-ka matlûbî).
Une fois le souffle expulsé, il reprendra un autre souffle qu’il utilisera de la même façon que le premier mais entre une expiration et une inspiration, il observera cette attitude imaginative (pour le décompte des temps).
Quand le dhâkir arrivera à la 21e fois, lui apparaîtra le résultat du dhikr du cœur. Ce résultat lui viendra de l’abolition de son humanité et de ses pensées de créature ainsi que la perte de l’être dans le « rapt divin essentiel » (al-jadhbatu-l-ilâhiyyatu-dh-dhâtiyyah). Alors dans son cœur apparaîtra la vertu agissante de ce « rapt divin » et cela consiste dans l’orientation (tawajjub) du cœur vers le Monde Sanctissime (al-âlamu-l-aqdas) ainsi que l’effet survenu. L’être en tirera alors son profit selon sa « prédisposition » (isti’dâd). Cette « prédisposition » est elle-même le don divin fait aux esprits avant que ceux-ci ne s’attachent au corps, don qui provient de la proximité essentielle et datant de toute éternité.
Il y a des invocateurs chez lesquels survient au début un « évanouissement extatique » (ghaîbah) c’est-à-dire un abandon de tout ce qui est autre qu’Allâh.
Il y en a chez lesquels survient l’ « ivresse extatique » (as-sukr) c’est-à-dire la stupéfaction (al-haîrah) et l’ « évanouissement extatique » (al-ghabah) tout à la fois.
D’autres obtiennent l’état d’anéantissement (al-dam) c’est-à-dire l’extinction (al-ifnâ) de leur humanité après quoi ils s’illuminent par l’extinction qui est la disparition dans le « rapt divin ».
Si le dhâkir n’obtient aucun résultat, cela est à imputer au défaut d’accomplissement des règles requises. C’est règles sont : la sincérité de la volonté (çidqu-l-irâdah), l’ « attache au Sheikh », la conformité aux ordres du Sheikh, l’abandon entre ses mains de tous ses intérêts, la renonciation complète à toute préférence personnelle en faveur de la préférence du Sheikh et la recherche de sa satisfaction en tout chose. Par l’observance de ces règles est attiré le flux divin (al- faîdu-l-ilâhî) de l’intérieur du Sheikh vers l’intérieur du disciple, car le Sheikh est la voie du flux et de la grâce divine. Il faut donc que ces règles soient observées strictement et la réussite est par Allâh.
« Toute chose a un moyen par laquelle elle peut être purifiée, et le moyen pour le Cœur est le dhikr » – le Prophète Muhammad.
Une Technique Soufie de la Prière du Cœur, Tau Heliogabale
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Notes :
[1] Les confréries soufies sont divisées en plusieurs groupes qui comptent chacun d’eux des millions d’adeptes. Le soufisme est une discipline d’intériorisation de la révélation coranique et considère la musique comme une aide nécessaire à la rencontre de Dieu. Le but est l’union mystique avec Dieu et l’anéantissement de sa personne (fana’) en la Divinité.
Les rapports qu’un soufi entretient avec Dieu sont symbolisés dans un rapport Aimé/Amant. Les soufis tiennent donc moins compte de l’observance des règles religieuses et vivent une relation très personnelle et parfois très libre avec l’islam.
[2] http://www.soufisme.org/ – Ce site est la vitrine internet de la Revue « soufisme d’Orient et d’Occident ». Route de Sérignan 84100 Orange. Nous conseillons d’ailleurs la lecture de cette revue pour son ouverture et son sérieux.
[3] Ode 18 des Odes Mystiques de Jallal Od-Din Rûmî.
[4] Khwaja Baha-oud-dîn Naqshaband al Ouweyssi al Boukhâri.(1318-1389) : Ce maître dont la confrérie porte le nom (aujourd’hui l’une des plus répandue dans le monde musulman) fut éduqué d’une façon collégiale par une assemblée de maîtres vivants et par les « Ruhani », les esprits, de plusieurs autres déjà morts. Baha-ud-dîn naquit en janvier 1318 à Qasr-i-‘Arifan près de Boukhara dans l’Uzbekistan et mourut (en 1389) dans le même village où sera construit un mausolée et une école qui furent longtemps un phare pour toute l’Asie.
[5] Akhtal, Al- (v. 640-v. 710), poète et courtisan arabe de religion chrétienne qui vécut et composa à la cour des Omeyades.
[6] Elle avait neuf ans quand le Prophète Mohamed la demanda en mariage. Elle devint son épouse à onze ans et sa veuve à dix-huit ans. Le Prophète dira d’elle : « Puisez la moitié de votre religion chez cette petite en rouge ». Oulémas et historiens nous la présentent comme femme de sapience, de savoir et d’intelligence. Le Coran renvoie à elle dans certains versets. Les livres de Hadith (faits et dires du prophète) font d’elle une référence sûre pour valider les hadith. Femme cultivée, ses dires jalonnent les livres des théologiens (Fouqaha) des premiers siècles de l’hégire. Mais les historiens citent à peine son activité politique, surtout dans la Bataille du Chameau (Maouqi’at al jamal).
[7] Faits et dires du prophète collectés pendant son existence par ses compagnons et son épouse Aïcha. Ils représentent une des sources de l’interprétation de l’Islam.
[8] Vraisemblablement Jalal od-Din `Abd or-Rahman ben Abi Bakr as-Soyuti (d. 911 AH/1505).
[9] AL-BAIHAQI, Ahmad bin Al-Husain : qui naquit à Sha’ban en l’an 374 de l’Hégire. Il était considéré comme un savant et fut un imam important ayant donné des interprétations quant à la jurisprudence dans le Shafi’ee Madhab. Il a écrit de nombreux traités comme le As-sunan Al-Kubra et le As-sunan As-Sughra.
[10] Ahmad ibn `Isa Abu Sa`id al-Kharraz (d. 277/890-1) était un Soufi reconnu qui fut le premier à expliquer la doctrine de l’annihilation (fana) dans le dhikr.
[11] Ou génuflexions.
[12] Assemblée soufie. Si plusieurs confréries sont issues du sunnisme, certaines le sont du chiisme ou de l’hanbalitisme. Les différentes confréries sont :
– les mevlevi
– les bektasi
– les halveti
– les cerrahi
– les merkeze
– les naskebandi
– les nursçu
– les süleymanci
– les kalender
– les tahtaci et les çepni
– les kaderi
[13] Gendre du Prophète et 4e Calife de l’Islam. De lui sont issus les différents courants du chiisme actuel.
[14] Bénédiction, chance, c’est souvent la bénédiction ou grâce donnée par le maître à son disciple.
[15] Le pratiquant du dhikr.
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