Première Homélie par Doinel
Sur La Sainte Gnose À l’Église du Paraclet
I
Le nom de la sainte Gnose a été oublié parmi nous. La Gnose est l’histoire tragique de la chute de l’esprit dans la matière, et du voyage douloureux et providentiel que fait l’esprit pour remonter de la nuit du vide (le Kénôme) aux clartés du Plérôme divin, à la matière pleine d’illusions et de mirages de la paix souveraine et sacrée de l’idée pure, à cet abîme insondable de la Pensée, que, dans leur langage universel, expression d’une vérité unique, les philosophes ont nommé l’Absolu et les peuples ont appelé Dieu. Et pour opérer ce voyage et ce retour, odyssée de l’esprit humain, l’âme a deux ailes, la Science et l’Amour, le Christ céleste et le Saint-Esprit (Christos et Pneuma agion).
II
Ces termes ne sauraient effrayer les Idéalistes, ni faire sourire les indifférents. Des âmes ont rompu ce pain et bu ce vin pendant des siècles. Quant aux matérialistes, esprits qui n’entrecroisent qu’une seule face des choses, la Gnose, peut leur citer ces paroles de Jean Scot Erigène : « Le danger n’est pas de chercher Dieu dans la nature, avec le flambeau du Logos ; il est de s’obstiner à demeurer dans les limites de la nature, quand on est conduit au point où il faut les franchir. » Scot pouvait parler ainsi, lui qui imposait deux sources à la Gnose : « la raison pure et la vision ». Néanmoins, les gnostiques sont bien éloignés de mépriser la science expérimentale, mais ils pensent avec Plotin, avec les Oupanishads, qu’au-dessus du monde phénoménal, du monde de la Maïa, il y a la sphère de l’intelligible où les sens grossiers ne pénètrent pas. Ils savent qu’une idée qui se manifeste est une Théophonie, une apparition du Divin dans l’àme humaine, et que TEL DIEU SE REVELE, TEL IL EST …
III
La Gnose, c’est la science des Théophanies, des apparitions du Divin. C’est la science des Éons, ces théophanies sublimes, ces hypostases des perfections divines. Yeux ouverts du Seigneur sur l’ombre des déserts ; Esprits qui remplissent l’air, la terre et les mers ; Anges de tous les noms ; mystérieux fantômes, Dont le monde invisible est plus plein que d’atomes ; Saints ministres du Père en tous les lieux vivant, Qui luisez dans le feu, qui passez le vent, Invisibles témoins de nos terrestres haines. Lamartine. Un jour, le grand Emmanuel Kant comparait l’âme qui plane dans l’Absolu à une colombe qui voudrait planer dans le vide. La Gnose, au contraire, nous enseigne et nous démontre que l’Absolu est l’atmosphère où se meut l’âme, puisque l’âme est une émanation de l’Absolu. La Gnose, a dit Éphrem le Syrien, tresse une couronne à ceux qui l’aiment et elle les fait asseoir sur un trône de Roi. Et d’abord, quand le SEIGNEUR disait : « Je vous enverrai le Paraclet et il vous enseignera toute chose », il annonçait à la fois et la Gnose chrétienne et l’avènement du Saint-Esprit. À cette parole prophétique de Jésus, « la fleur des Éons », ont répondu, dans tous les temps, des initiateurs et des messagers évangéliques. En feuilletant les apocryphes de la Bible, vous entendrez presque à chaque instant retentir la plainte de colombe de la sainte Gnose et son appel d’amour aux hommes qui ont faim et soif de la justice et de la vérité.
IV
Jean nous a révélé qu’au commencement – dans le principe – le Logos fut émané par Dieu et que du Logos émanent la VERITE et la VIE. Le même Jean, dans l’Apocalypse, nous montre prophétiquement la nouvelle Jérusalem qui descend du sein de Dieu, parée comme une épouse pour son époux. C’est la très sainte Gnose. C’est encore lui qui voit venir du ciel la femme symbolique, vêtue de soleil, couronnée de douze étoiles et ayant la Lune sous ses pieds. C’est lui enfin qui, dans son dernier chapitre, appelle l’époux au nom de l’épouse : Amen ! Viens, Seigneur Jésus, viens ! C’est Paul parlant aux Colossiens de ce mystère de Dieu manifesté en Christos, dans lequel sont contenus tous les trésors de l’HYPERGNOSE – et, dans l’Épître aux Galates, disant : « Si vous êtes SOUS PNEUMA. VOUS n’êtes plus sous la Loi ! » C’est Apollos, dans l’admirable Épître aux Hébreux, nous présentant le Fils, le MONOGENES héritier de toutes choses , par qui Dieu a fait les Éons : le Fils unique, splendeur de la Gloire et image empreinte de la SUBSTANCE divine, qui soutient toutes choses par le LOGOS.
V
Les docteurs et les évêques de cette Gnose ont reçu en dépôt le sens ésotérique de la Bible. C’est à nous, pontifes selon l’ordre de Melchisédech, que les Anges ont confié le pectoral où flamboient l’Urim et le Thumim (Lévitique, viii, 8). C’est nous qui lisons dans le livre de la Loi (Néhémie, viii, 8). C’est notre écriture qui est cachetée au nom du Roi ; c’est nous qui portons l’anneau du Roi (Esther, viii, 8). C’est de nous qu’il est écrit : « Ceux qui sont revêtus de robes blanches, qui sont-ils et d’où sont-ils venus ? Ce sont ceux qui ont souffert de la grande Tribulation et qui ont lavé leurs tuniques dans le sang spirituel de l’Agneau (Ram), et qui sont vierges des superstitions et des souillures du monde Hylique ! » La Gnose est l’essence même du Christianisme. (Comtesse d’Adhémar, Revue Théosophique, 21 juin 1889.) Voilà, nos bien-aimés, la plus juste définition du Gnosticisme. Or le Christianisme nous dit d’où nous venons et nous apprend où nous allons. Unde venis et quo vadis ? Savoir cela, c’est savoir la seule chose nécessaire. Porro unum est necessarium ! Cette Gnose illuminative est la perle de l’évangile pour laquelle l’Homme digne de ce nom doit vendre et donner tout ce qu’il a. « Mon âme, d’où viens-tu ? disait saint Basile. Qui t’a chargée de porter un cadavre ? Si tu es quelque chose de ce céleste, ô mon âme ! apprends-le-moi. » Et la Gnose répond : « En contemplant le Plérôme, tu connaîtras toutes choses. »
VI
L’illustre M. Franck, a justement remarqué que la Gnose prétend être une synthèse complète et définitive de toutes les croyances et de toutes les idées dont l’humanité a besoin pour se rendre compte de son origine, de son passé, de sa fin, de sa nature, de son avenir, des contradictions de l’inexistence et des problèmes de la vies, (Journal des Savants). Le premier Principe, c’est l’abîme, l’Unité absolue, existante par elle-même, le Père Ineffable, et qu’on ne peut définir justement parce qu’il est ineffable. C’est l’être en puissance avec tous les possibles renfermés dans son sein, enveloppé dans son mystérieux silence (Sigê) et renfermant en soi l’Idée, l’Amour la Lumière et la Vie ! Si le Père Ineffable sort de ce Silence, si cet abîme déborde, si cette Puissance s’actionne, ce n’est pas la NECESSITE qui l’y contraint, c’est l’AMOUR. Et c’est parce qu’il aime qu’il se sépare de soi-même, se répand, se précipite, quitte sa solitude majestueuse, se prolonge pour aimer. Car, dit Valentin, il EST AMOUR, et il n’y a pas d’Amour sans objet aimé ! De cette unité d’amour jaillit la dualité (dyade), une dualité vivante, théophanie de l’Absolu, masculine et féminine, aimantée et aimée, et qui se révèle comme Esprit et Vérité (Nus et Alètheia).
VII
Nous nous arrêterons ici, nos bien-aimés, remettant à une seconde Homélie épiscopale la suite de cette épopée sublime. Nous livrons ce préambule de la manifestation divine à vos méditations, à vos contemplations. Vous qui faites partie de l’Église du Paraclet, unissez-vous à vos frères. C’est par vos prières et vos études, c’est, par votre obéissance à vos pasteurs invisibles, c’est par votre fuite de l’orgueil personnel et tout ce qui peut établir ou briser la charité, que vous réussirez à établir sur de fortes et profondes assises la communauté visible des Pneumatiques que les MANIFESTATIONS d’En-Haut nous annoncent et nous promettent. –
Amen.
Première Homélie, donnée sous le Thau, le 18 août 1890, neuvième année de Notre-Dame Saint-Esprit. T Jules, Evèque gnostique. (Jules Doinel).