Introduction à la Gnose Chrétienne par Volute. 

1. L’origine des gnostiques chrétiens

Le christianisme était devenu une religion respectable, raisonnable. Ce n’était plus une propagande religieuse agressive, et l’apostolat et les missionnaires disparaissent. Elle manquait cependant d’un Canon officiel.

À côté des 4 Évangiles et des Actes circulaient d’autres textes comportant la relation d’une doctrine ésotérique, communiquée aux Apôtres par le Christ ressuscité et concernant le sens secret des événements de sa vie. Ces livres sont qualifiés d’« apocryphes », car contenant des révélations restées jusqu’alors « cachées ».

C’est de cet enseignement secret, conservé et transmis par la tradition orale, que se réclamaient les gnostiques.

Devant les prétentions extravagantes de certains auteurs gnostiques, les Pères de l’Église, suivis par les historiens anciens et modernes, ont nié l’existence d’un enseignement ésotérique pratiqué par Jésus et continué par ses disciples. Mais en pratique TOUTES les religions de cette époque ont un enseignement ésotérique

On en retrouve les traces dans l’Évangile de Marc et chez certains auteurs classiques. Il y aurait eu trois grades : les « commençants », les « progressants » et les « parfaits ». L’enseignement « ésotérique » aux fidèles portait sur le symbolisme du baptême, de l’eucharistie, de la Croix, sur les Archanges et sur l’interprétation de l’Apocalypse.

Pour les Parfaits, l’enseignement portait sur les mystères de la descente et de l’ascension du Christ à travers les 7 cieux habités par les anges, et l’eschatologie individuelle, c’est-à-dire l’itinéraire mystique de l’âme après la mort. Cette tradition prolonge l’ésotérisme juif et d’ailleurs sur l’ascension de l’âme et les secrets du monde céleste.

Petit à petit, de plus en plus d’influences extérieures se font sentir, introduisant des doctrines parfois en opposition avec les Évangiles. La hiérarchie ecclésiastique y voit des hérésies qui s’infiltrent sous couvert du secret initiatique.

Le gnosticisme se répandit en Palestine, dans le monde romain, en Asie, en Syrie, et en Égypte (à Alexandrie, autour de 120).

2. Les thèmes principaux

Presque tous les thèmes mythologiques et eschatologiques mis en œuvre par les auteurs gnostiques sont antérieurs au gnosticisme. Ce qui caractérise le gnosticisme est la façon dont ces thèmes sont réinterprétés : c’est la révélation d’une « histoire secrète » C’est un mythe total : l’origine et la création du Monde ; l’origine du Mal ; le drame du Rédempteur divin descendu sur Terre afin de sauver les hommes ; la victoire finale du Dieu transcendant, conduisant à la fin de l’Histoire et l’anéantissement du Cosmos.

Le Sauveur est envoyé par Dieu pour sauver les hommes. Celui-ci devra subir les conséquences humiliantes de l’incarnation pour transmettre son message à quelques élus avant de retourner au Ciel. Parfois il oubliera sa mission et devra être lui-même sauvé (mythe du « Sauveur sauvé »). Le modèle immédiat de ce Sauveur est Jésus-Christ.

Mais pour les gnostiques le Vrai Dieu n’est pas le Dieu Créateur. La création est l’œuvre de puissances inférieures, voire diaboliques, comme résultat d’un accident ou d’une agression des ténèbres.

Les idées fondamentales sont : le dualisme matière/esprit, divin (transcendant)/anti-divin ; le mythe de la chute de l’âme (= esprit, parcelle divine), c’est-à-dire l’incarnation dans un corps (assimilé à une prison) ; la certitude de la délivrance obtenue grâce à la gnose.

Le but premier du gnostique est la délivrance de sa parcelle divine, aliéné dans un monde matériel corrompu, et sa remontée vers les sphères célestes. Il fait partie d’une élite, les pneumatiques, résultat d’une sélection décidée par l’Esprit. Une seconde classe, les psychiques, comprend ceux qui ont une âme (psyché), qui sont susceptibles d’être attirés vers le haut, mais sont dépourvus de l’esprit (pneuma). La troisième classe, les « charnels » (somatiques ou hyliques), sont totalement immergés dans la matière et condamnés à disparaître.

L’amnésie de la condition originale est une image spécifiquement gnostique. En se tournant vers la Matière, l’âme oublie sa propre identité. C’est la mort spirituelle. Le mythe du Sauveur Sauvé tourne autour de cette notion d’amnésie, qu’illustre l’« Hymne de la Perle », dans les Actes de Thomas. La découverte du principe transcendantal à l’intérieur de Soi-même constitue l’élément central de la religion gnostique. Cette redécouverte, l’anamnèse, est obtenue grâce à un messager divin, et grâce à la gnose.

Le symbole du sommeil est également utilisé dans ces mythes. C’est un symbole archaïque universellement répandu dans la quête de l’initiation. Ne pas dormir, ce n’est pas seulement triompher de la fatigue physique, mais surtout faire preuve de force spirituelle. Rester « éveillé », être pleinement conscient, veut dire : être présent au monde de l’esprit.

Chez les gnostiques, l’image de l’ivresse est aussi employée.

Dans l’Inde médiévale, on retrouve ces principes d’amnésie à cause de l’immersion dans la « vie » et de parcelle divine.

3. Les tendances

Ménandre introduisit le gnosticisme à Antioche. Son héritier, Satornil, fut actif à Antioche de 100 à 130.

Cérinthe, un judéo-chrétien contemporain de Jean, voit Jésus comme le fils de Joseph et de Marie. Jésus reçut en lui le Christ, mais plus tard. Cérinthe s’établit plus tard à Alexandrie. Là, Carpocrate proclama une théorie analogue concernant Jésus.

3.1. Simon le Magicien

Il est vu comme le premier hérétique et l’ancêtre de toutes les hérésies. Ses disciples sont devenus gnostiques après la catastrophe de 70.

Il était adoré comme le « premier Dieu », et sa compagne Hélène, découverte par Simon dans un bordel de Tyr, était considérée comme la dernière et la plus déchue incarnation de la « Pensée » de Dieu. Rachetée par Simon, elle est devenue le moyen de la rédemption universelle. L’union du magicien et de la prostituée assure le salut universel, car cette union est en réalité la réunion de Dieu et de la Sagesse divine.

Selon la légende, Simon annonça à Rome son ascension au Ciel, mais la prière de l’apôtre Pierre le fit retomber lamentablement.

3.2. L’évangile selon Thomas

L’Evangile selon Thomas est très difficile à dater, et reproduit pour l’essentiel des paroles de Jésus transmises par une tradition autonome remontant assez haut dans le I siècle. Il n’apprend rien sur le christianisme de la première moitié du II siècle, faute d’avoir connu la même élaboration littéraire que les évangiles canoniques. Son texte intégral ne nous a été connu que depuis la découverte d’une bibliothèque gnostique en 1945 à Nag Hammadi.

Le royaume de Dieu y est non eschatologique, le rejet des pratiques juives de piété (jeûne, prière et aumône) y est absolu, comme celui de la circoncision.

3.3. Marcion

Marcion (85-160), né dans une famille chrétienne, voyagea beaucoup et s’établit à Rome vers 135. Il devint membre influant de l’église en y faisant une importante donation.

Il publia les Antithèses, où il dit que le Dieu de Jésus n’a rien à voir avec le Yahvé de l’Ancien Testament, divinité ignorante, brutale et matérialiste. Il rejette les anciennes Écritures, ne gardant qu’une sélection des nouveaux écrits. Exclu de l’église de Rome en 144, il se lance dans des campagnes missionnaires, fonda de nombreuses églises où l’on pratiquait une morale très austère, comportant la renonciation à la sexualité et à la vie de famille, tout en se préparant au martyre. Mais dès le milieu du III siècle, le marcionisme est en déclin et disparaît en moins de 100 ans.

Marcion partage l’essentiel du dualisme gnostique, sans inclure les implications apocalyptiques. Il oppose la Loi et la Justice, institué par le Dieu Créateur de l’Ancien Testament, à l’amour et à l’Évangile, révélés par le Dieu Bon à travers Jésus. Par la prédication de Jésus, Yahvé apprend l’existence du Dieu Transcendant, et il se venge en livrant Jésus à ses persécuteurs. Par son sacrifice, Jésus rachète l’humanité au dieu créateur. Mais les fidèles continueront d’être persécutés jusqu’à la fin des temps, lorsque le Dieu Bon se fera connaître, qu’Il les recevra dans son royaume, et qu’Il anéantira la matière et le créateur.

3.4. Basilide

Basilide exerça son activité de 125 à 155 à Alexandrie. Il est un des premiers maîtres gnostiques. Il écrivit 24 livres d’exégèse de l’Écriture, synthèse des doctrines enseignées par les disciples de Simon le Magicien. Mais c’est surtout par ses observations critiques qu’on connaît ses idées, reprises par son disciple et fils, puis par toute une école théologique.

Il professait la transcendance absolue de Dieu, de qui la Pensée, puis la Parole, puis la Prudence, la Sagesse et la Force avaient émané. De là étaient sortis les anges et les puissances constituant le premier ciel, puis les 365 cieux qui séparaient Dieu du groupe des anges les plus modestes, lesquels avaient créé le monde et s’étaient réparti entre eux les peuples.

Yahvé, l’ange d’Israël, était un personnage querelleur et autoritaire qui avait semé le désordre et dont le peuple était constamment agressif. Dieu intervint alors en envoyant dans le monde sa Pensée comme Christ.

À tous les niveaux, sauf le plus élevé, l’ignorance conduisait chacun des êtres intermédiaires à se prendre pour le Dieu Suprême.

Le salut était apporté par la Connaissance (Gnôsis) révélée par le Christ et les maîtres inspirés. Avec cette « gnose », le Mal était surmonté puisqu’il n’était que l’œuvre du méchant Yahvé. La souffrance des justes était vue comme une expiation pour les péchés de chacun des croyants.

3.5. Valentin

Il est le plus important des maîtres gnostiques. Il est né en Égypte et fut éduqué à Alexandrie. Il enseigna à Rome entre 135 et 160. L’Évangile de Vérité, ainsi que d’autres textes découverts à Nag Hammadi, se rattachent à l’école valentinienne.

Le Père, Premier principe absolu et transcendant, est invisible et incompréhensible. Il s’unit à sa compagne, la Pensée (Ennoia) et engendre les 15 couples des éons, formant le Plérôme. Le dernier des éons, Sophia, veut connaître le Père et provoque une crise qui entraînera l’apparition du mal et des passions. Sophia et ses créations sont rejetées, produisant une sagesse inférieure.

En haut, un nouveau couple est créé, le Christ et son partenaire féminin le Saint-Esprit. Le Plérôme, de nouveau pur, engendre le Sauveur Jésus. En descendant dans les régions inférieures, le Sauveur mélange la matière, provenant de la sagesse inférieure (hylique), avec les éléments psychiques, engendrant le Démiurge, le dieu de la Genèse, qui se croit seul Dieu. Celui-ci crée le monde et le peuple de 2 catégories d’hommes, les hyliques et les psychiques. Mais des éléments venant de la Sophia supérieure s’introduisent dans le souffle du Démiurge, donnant naissance aux pneumatiques. Le Christ descend alors sur Terre pour révéler la connaissance libératrice. Les pneumatiques, réveillés par la gnose, remonteront vers le Père.

La rédemption du dernier pneumatique sera accompagnée par l’anéantissement du Monde, de la Matière.

La Matière a une origine spirituelle, c’est un état, une « expression externe solidifiée » de l’Être absolu. L’ignorance (l’aveuglement de Sophia) est la cause première de l’existence du Monde. La connaissance constitue la condition originelle de l’Absolu.

4. Le manichéisme

4.1. Éléments historiques

Mani naquit en 216 à Babylone. Il était infirme. Il grandit pendant 20 ans dans une communauté judéo-chrétienne, dans une grande ferveur.

Il reçut 2 révélations à l’age de 12 ans et de 24 ans, le poussant à quitter sa communauté et à révéler au monde sa doctrine.

Il fit un premier voyage apostolique en Inde de 240 à 242, qui influencera ses idées.

De retour, le roi Shahpur lui accorde la liberté de prêcher et la reconnaissance officielle de sa nouvelle religion. Il voyagea beaucoup en Iran, et envoya des missions à l’étranger.

À la mort de Shahpur, il est confronté à la cour du nouveau roi au chef des Mages, et il sera condamné et jeté en prison. Il y subit de grandes souffrances, vivant sa « passion ». Il succomba en 277, à l’âge de 60 ans. Une répression impitoyable s’abattit alors sur l’église manichéenne.

Au III et IV siècles, les missions se multiplient en Europe, Afrique du Nord et Asie Mineure. Puis le manichéisme décline et ne survit que dans quelques centres.

Une forte poussée reprend au VIII siècle en Asie Centrale et en Chine, où il survit jusqu’au XIV siècle. Les vues cosmogoniques du manichéisme influencèrent l’Inde et le Tibet.

Le manichéisme fut considéré comme l’hérésie par excellence par les chrétiens, les Mages, les juifs, les musulmans, mais aussi par des gnostiques et par des philosophes.

4.2. La gnose manichéenne

Le manichéisme était une gnose, tout en se voulant religion universelle, c’est-à-dire accessible à tous. C’était une religion missionnaire et une religion du livre. Afin d’éviter les controverses, Mani rédigea lui-même les 7 traités qui en constituaient le canon. La théologie, la cosmogonie et l’anthropogonie manichéenne semblent satisfaire n’importe quelle question relative aux « origines ». C’est une doctrine plus « vraie », plus « scientifique ».

Mani opéra une synthèse de toutes les sagesses : il accorda un rôle éminent à Jésus et fit sienne l’idée du Paraclet ; il emprunta à l’Inde la notion de transmigration ; il reprit le dualisme iranien et le mythe eschatologique.

L’incarnation dans le monde matériel est la source de la souffrance, l’homme incarné est la proie du mal. La délivrance ne peut être obtenue que par la gnose, la seule vraie science, celle qui sauve. On retrouve les idées du dieu transcendant, du Démiurge mauvais, d’une condition de l’homme antérieure et pure, et de sa chute.

La connaissance (l’origine de l’univers, la cause de la création de l’homme…) équivaut à l’anamnèse : l’adepte se reconnaît comme une parcelle de lumière, donc de nature divine, car il y a consubstantialité entre Dieu et les âmes. L’ignorance est le résultat du mélange de l’esprit et du corps/matière.

Mani répartit les fidèles en une classe inférieure, les Auditeurs ou Catéchumènes, et une élite, les élus. Le corps étant de nature démoniaque, il prescrit, au moins pour les Élus, un ascétisme des plus rigoureux, tout en interdisant le suicide. On ne doit pas valoriser ce qui appartient à l’adversaire de Dieu : la Nature, la Vie, l’existence humaine. De plus, chaque enfant qui vient au monde ne fait que prolonger la captivité d’une parcelle divine. Mani enseigne donc d’éviter la procréation.

L’illumination obtenue par la gnose suffit au salut, il y a peu de rites en dehors de quelques gestes symboliques. L’enseignement constitue donc la véritable activité religieuse des manichéens.

4.3. Le Grand Mythe

Le conflit entre les deux Principes, Bien et Mal, a éclaté suite à un accident. Le mythe anthropogonique est des plus tragique et humiliant. L’existence humaine n’est que le stigmate ignoble d’une défaite divine. Dieu ne s’intéresse pas à l’homme, mais à l’âme, qui est d’origine divine. Il ne cherche qu’à se sauver lui-même.

Dans le « Temps antérieur », le Bien (la Lumière, le Dieu chrétien ou Zurvan ; au nord) et le Mal (l’Obscurité, le Diable ; au sud) coexistent, séparés par une frontière. Se rapprochant de la frontière, le Mal est tenté par la Lumière. Le Père projette à partir de lui-même la « Mère de la Vie », qui à son tour projette l’« Homme Primordial » (assimilé à Ohrmazd en Iran). Ce dernier affronte les Ténèbres et est vaincu, et en partie dévoré. Ainsi, l’Obscurité possède maintenant une portion de la Lumière.

Le Père « évoque » alors l’Esprit Vivant, qui re-hisse l’Homme primordial vers la patrie Céleste. L’Esprit Vivant terrasse les Archontes démoniaques et de leurs corps façonne le monde. Il achève une première délivrance de la Lumière en y extrayant le Soleil, la Lune et les étoiles.

Le Père procède à une ultime évocation, celle du « Troisième Messager ». Son but est de délivrer les particules de Lumière. Il se montre aux démons sous une forme désirable. Cela entraîne une suite d’actes répugnants de cannibalisme et de sexualité entre les démons, qui donne naissance au premier couple Adam et Eve, contenant la Lumière. Le corps gardera des stigmates de son origine diabolique : la libido, qui le pousse à se reproduire, transvasant de corps en corps les parcelles de Lumière. On trouve d’autres parcelles de Lumière dans les animaux, et surtout dans les arbres.

Adam et sa descendance sont avilis et sans connaissance. Ils seront réveillés par le Sauveur, le « Fils de Dieu », identifié à Ohrmazd ou à « Jésus la Lumière ». Cette délivrance comprend le réveil, la révélation de la science salvatrice, et finalement l’anamnèse.

Le « Troisième Temps », la fin eschatologique, commence par la « Grande Guerre », précédent le triomphe de l’Église de Justice et le Jugement dernier. Après un court règne, le Christ et les élus s’élèveront au Ciel, ainsi que les dernières parcelles de Lumière, et le monde sera anéanti dans un gigantesque incendie. La Matière et tous ses aspects seront définitivement écartés.

Introduction à la Gnose Chrétienne par Volute.

Image by Siggy Nowak from Pixabay
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